-Le bonsoir, Socrate.
- Yäh, man.
- De quoi discuterons-nous aujourd'hui, Socrate ?
- Oh écoute c'est l'été, je pars à Nauplie ce soir, alors on va faire vite. Aujourd'hui, nous discuterons de la vieillesse.
- N'est-ce pas là un sujet personnel, Socrate ?
- Tu veux sans doute dire en m'interpellant ainsi, Microdarkos, que chacun vit sa vieillesse comme il le peut, selon les infirmités dont les dieux l'ont affligé ?
- Tout à fait, Socrate.
- Et tu te demandes en quoi ce sujet peut donc être le thème de notre discussion ? Quel sera son rapport avec la Cité, dont nous débattons d'ordinaire ?
- Oui, Socrate.
- Mais la vieillesse, Microdarkos, tu dirais qu'elle est du corps ? Lequel étant faible, inflige à son tour sa débilité à l'esprit ?
- Ben oui, Socrate.
- Pourtant, nous avons déjà vu que la Cité dans son ensemble peut être considérée comme un corps, avec le ventre, les muscles et l'esprit ? (*)
- Ah oui c'est vrai, Socrate.
- C'est donc que l'on peut établir un lien entre la vieillesse du corps du citoyen, et celui du corps civique.
- Comment donc, Socrate ?
- En ceci : ce qui caractérise un vieillard, n'est-ce pas le renoncement ? À rouler en char, en raison des multiples accidents qu'il risquerait de provoquer, à consacrer son temps à la philosophie ou à mater les gitons au gymnase, ce qui revient au même, bref à tous les plaisirs de la vie ?
- Complètement, Socrate,complètement.
- Ne dirons-nous pas, alors, que ce renoncement se traduit par un rétrécissement de l'esprit, des parties du corps, bref du monde disponible ? Et ce rétrécissement, ne peut-on pas penser qu'il constitue la porte vers l'Hadès ?
- Evidemment, Socrate.
- Par ailleurs, n'est-il pas certain que notre société est en plein vieillissement ? Et cela ne se voit-il pas au recroquevillement généralisé, à ces personnes âgées qui se terrent transies, terrifiées par les habitants des autres cités alors qu'ils ne les voient jamais, à ces responsables qui préfèrent nous parler des toutes petites histoires d'Athènes sans jamais nous informer sur le reste du monde ?
- Oui, Socrate.
- En ce qui concerne le renoncement, ne peut-on pas dire que nous avons déjà, alors même que nous ne sommes pas vieux, renoncé à bien des choses ? Depuis de petits plaisirs certes, mais symboliques, comme celui de fumer dans les bars, jusqu'à des choses qui fondent la Cité, comme une retraite décente ? Et en détruisant cette retraite, n'aggravons-nous pas le recroquevillement, la pauvreté qu'apporte la vieillesse ? Et au lieu de nous ouvrir un passage harmonieux vers l'Hadès, ne sommes-nous pas déjà en train de le transformer en boyau de larmes ? C'est à dire, en Hadès avant l'heure ?
- Si, Socrate.
- Quel choix nous reste-t-il alors ?
- Dis-nous, Socrate.
- Soit nous acceptons que la vieillesse, en ce qu'elle est le châtiment inventé par les dieux, envahisse notre monde, et elle ne vaut guère mieux que la mort. C'est alors Hadès qui envahira Athènes, et il nous fera amèrement regretter les Lacédémoniens, croyez-moi.
- Putain tu y vas fort, Socrate.
- Non, au contraire, Microdarkos, mon opinion est mesurée et réfléchie. Soit nous réfléchissons à la manière d'apprivoiser le vieux qui sommeille en nous, pour en tirer ce qu'il a de bon et jeter le reste par dessus les remparts. Sinon il nous crèvera tous.
- Comme le méchant de la dernière fois, Socrate ?
- En vérité, Microdarkos, c'est toi-même qui es parvenu à cette conclusion. Le vieux rétrécisseur n'est qu'une facette de l'ombre que les dieux ont placée en nous. C'est à nous qu'il incombe de ne pas le laisser chier partout. Ne vous laissez pas rétrécir. D'ailleurs, à ce sujet, j'aperçois le jeune Kalophallos qui s'approche. Je vous laisse.
(*) Depuis Cité, pour aller à la République, marcher jusqu'à Châtelet puis prendre la ligne 11 direction Les Lilas.
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